Ils l’évoquaient comme on parle d’une époque lointaine, et d’autant plus volontiers qu’elle ne pouvait plus exercer la moindre influence sur leur vie. Soirées où, l’esprit saturé par l’ineptie d’un film ou d’une émission, l’un deux se levait pour changer manuellement de chaîne, en profitant pour se verser à boire où aller uriner ce qu’il, ou elle avait déjà absorbé. Cette dernière nécessité seule, pérenne entre toutes, avait survécu à la révolution. S’envoyer une gorgée, fumer une cigarette, grignoter chips ou friandises se réglait sans effort. Très vite après son apparition, ils avaient baptisé „Pouvoir“ la télécommande. Ce boîtier à la surface pustulée de touches rondes ou quadrilataires ornées d’une kabbalistique standartisée leur donnait le sentiment d’atteindre au démiurgique. Avâchis qui dans un fauteuil, qui sur le canapé, ils se plaisaient, d’une simple pression du doigt ou du pouce, à composer des mondes pour les décomposer à la seconde suivante. Le buffle barbottant dans la boue du Serengeti se métamorphosait en bolide de grand prix ; le cow-boy abattu à Rio Bravo mourait en direct au journal ; Le philantrope se glissait dans la peau d’un chef de guerre amateur de carnage ; les débris de l'Explosante/fixe tournoyaient entre les planètes d'Holt ; le ballon secouant les filets dans un stade européen faisait hurler la foule d’un concert à Tokyo, avant que d’étonner par sa rondeur l’équipage d’un vaisseau extra-terrestre ne connaissant que le triangle. Rapidement ce „pouvoir“ augmenta en se démultipliant. Ils s’en réjouirent, sans saisir cependant en quoi il consistait vraiment.