Un parmi tant d’autres,
pensa Lucien, sans aller jusqu’à avancer un chiffre. Sa constatation
se passait bien de la précision arithmétique : nous nous
entourons facilement d’objets inutiles, prendre la décision
de nous en débarasser semble une difficulté insurmontable.
Et pourtant, continuait de penser Lucien, ils sont dénués
d‘intérêt (ne serait-ce que décoratif), nous
ne leur attribuons aucune valeur, nous chercherions en vain en eux une
référence à un souvenir, ils sont dépourvus
de toute charge émotive, ils ne sont ni beaux ni déplaisants,
ils ne nous amène à rien, ne nous ramène à
rien, nous ne leur accordons d’ailleurs le plus souvent aucune attention.
Nous sommes incapables de resituer dans le temps le moment à partir
duquel ils apparurent dans notre vie, de même avons-nous oublié
le temps où ils en étaient absents. Pour la bonne raison
que nous n’y projetons rien, ils ne nous renvoient que leur matière,
leur forme, leur couleur. Nous les nommons, certes, mais cela ne signifie
aucunement que nous les connaissions, que nous les comprenions, c’est
entendu. Ils nous encombrent. Et nous les conservons peut-être parce
qu’il ne nous coûterait rien de nous en séparer? Ou
bien ne les jetons-nous pas car ils sont déjà, justement,
„en-dehors“ de nous? Et si, de cette façon, ils acquéraient
malgré tout une fonction? celle qui nous permettrait de regarder
ailleurs qu’entre nos quatre murs, nos deux cent vingt-quatre
os? |