Il conduisait peu, quand il conduisait.
C’est à dire qu’il conduisait si mal qu’on
ne pouvait appeler conduite le fait de s’asseoir au volant, tourmenter
le levier de vitesse en embrayant, libérer le frein à
main, et que ce „peu“ se rapportait plus à cette
manière de conduire qu’à la fréquence de
cette conduite, qui pouvait s’illustrer comme suit : il conduisait
du bout des doigts, de loin, par défaut, comme par hasard, ce
qui revenait à conduire peu, et, comparé à d’autres
conducteurs, à ne pas conduire du tout, de le faire le moins
possible, aussi n’hésitait-il pas à s’arrêter
dès qu’une occasion se présentait, bas-côté
suffisamment large pour qu’il puisse s’y garer, parking
où il s‘installait à son aise sans éveiller
l’attention et garantissant une parfaite immobilité mise
à profit – sur son aire de stationnement favorite –
pour attendre une baisse conséquente de la circulation, saisir
le moment propice – rare sur cette route à haute fréquentation
– pour repartir, ainsi l’alpiniste entrevoyant la cime longtemps
invisible dans un écartement subit des nuages ou de la neige
tourbillonante, serre le manche de son piolet, fait cliqueter ses mousquetons,
reprend l’acension qu’il croyait compromise, et fixé
au rétroviseur intérieur par un élastique un éléphant
de peluche balançait, dont il suivait les oscillations, auquel
il donnait de temps à autre une pichenette pour qu’il s’agite
de nouveau et marque le temps de son agitation inepte renforcée
par l’économie de ses gestes, mains sur le volant qu’il
ne lachait que pour remonter ou rabaisser une casquette de marin-pêcheur
achetée il se demandait bien pourquoi. |