C’était alors autre
chose, l’espace, les lieux, les mots, les noms. Ceux à
propos desquels ils se disputaient. Tous étaient d’accord
lorsqu’à la fin du repas (Aboloo au Kyenam et sauce Moko)
la patronne leur proposa un tour de jardin. A la botanique succéda
la faune, non celle qui ornaient les parcs naturels mais rencontrée
quotidiennement. La patronne s’approcha d’une haie à
la base de laquelle elle souleva une pierre plate. Ils découvrirent
un enlacement de cordelettes vertes formant un grosse pelote qu’elle
leur déconseilla de vouloir défaire. Un nid de mambas.
Noirs pour René et Mireille, verts pour Camille et Lucien. Même
famille, même genre, certes, mais une composition du venin différente.
Neurotoxines pré-, et post-synaptiques, cardiotoxines, fasciculines
pour l’un ; neurotoxines et cardiotoxines pour l‘autre.
Rares les morsures, mais généralement létales.
L‘impossibilité de reconnaître une présence
ou absence adulte dans ce paquet de macaroni, augmentait le dangerosité
en émanant. Point téméraire le groupe recula de
quelques pas en surveillant ceux-ci. Avec le mamba, ophédien
formule 1 c’était l’attaque éclair. Plus fréquentable,
l‘Aido-Hwedo jaune et bleu, roue de ciment se mordant la queue
à pleines dents dans l’enseinte de Kpassèzoun, ou
les dolents Dagbe Dre, Dagbe Kpohoun, enroulés en paquets par
dizaines dans leur case, grosse jarre rosée surmontée
d’un toit conique, ouverte le jour, même aux non-initiés,
dont certains se laissaient immortaliser un reptile autour du cou, rappelant
à Mireille M‘boaba catcheur originaire du Congo, qui montait
au combat avec sa servante vêtue en exploratrice fantaisie, et
son boa, habillé en serpent. Aido-Hwedo, leur avait expliqué
le chauffeur, Dan, arc-en-ciel, dont les excréments sont des
perles, se révèle aussi par les hauts et les
bas géologiques, bosses, creux et courbes de la route que nous
suivons, autant de traces des reptations de l’orisha, qui ignore
les frontières. Camille interrogea la patronne sur celles
souvent poreuses des différents cultes relatifs au serpent, Bida
le boa de Wagadou, Ofu le cobra, Dagbui ou encore l'homme-serpent Nommo
aquatique des Dogons, tenta un rapprochement entre le bicéphale
Bamoun, celui représenté sur certains drapeaux Fante Asafo,
et cet autre, apparenté à la lignée Suuba des Gan
du Burkina Faso, sans oublier le compagnon de Mama Water appelée
Mamba muntu dans la lointaine RDC, laquelle patronne sut d'abord ne
pas répondre en souriant, puis : vous ferez plus rapidement
le tour du monde que celui du serpent en Afrique. Suivit un silence,
que René combla en évoquant un film des années
30 dans lequel un zoologue jaloux injectait le venin du mamba à
la concurence. Pour ce faire il n’utilisait pas une banale seringue
hypodermique (qui l’aurait trahit), mais une tête du serpent
artificielle (qui finit par le trahir, la trace de la morsure infligée
à ses victimes ne correspondant pas à l‘écartement
des crochets du dendroaspis, un exemplaire ramené d’Indochine,
où il brille d’ailleurs par son absence). Le criminel mourait
finalement, étouffé par un python... La nuit tomba. Pour
rejoindre leur guest-house il leur fallait emprunter une langue de sable
découverte à marée basse et un sentier étroit
fendant à peine des herbes hautes parmi lesquelles Lucien soupçonna
le serpent à l‘affût. Appliquant la consigne de la
patronne, il se mit à marteler le sol pour signaler sa présence
et décourager les reptiles supposés en embuscade : je
ne suis ni un rongeur, ni un oiseau, ni même un chien errant,
je suis l‘oryctérope, l‘hippopatam, la baleine! Un
craquement étouffé se fit soudain entendre, “Ça
y est” pensa-t-il, l‘associant à celui des crochets
rompus comme des ampoules, délivrant leur venin et provoquant
une résurgence de termes ornant la littérature spécialisée
qu’il n’avait manqué d’ingurgiter avant leur
départ. Impressionnant feu d’artifice ou explosait dyspnée,
dysartrie, asthénie, dytonie, hypotension, dysphagi, parésie,
hyüersialhorrée, syndrome muscarinique, frisson solennel,
faciès vultueux, autant de phlyctènes qu’il pensait
voir rapidement apparaître sur sa jambe. Ça n’y était
naturellement pas, sauf pour le crabe qu’il venait d‘écraser,
et dont il rassembla honteusement les restes. |