Ils l’évoquaient comme on parle d’une époque lointaine, et d’autant plus volontiers qu’elle ne pouvait plus exercer la moindre influence sur leur vie. Soirées où, l’esprit saturé par l’ineptie d’un film ou d’une émission, l’un deux se levait pour changer manuellement de chaîne, en profitant pour se verser à boire où aller uriner ce qu’il, ou elle avait déjà absorbé. Cette dernière nécessité seule, pérenne entre toutes, avait survécu à la révolution. S’envoyer une gorgée, fumer une cigarette, grignoter chips ou friandises se réglait sans effort. Très vite après son apparition, ils avaient baptisé „Pouvoir“ la télécommande. Ce boîtier à la surface pustulée de touches rondes ou quadrilataires ornées d’une kabbalistique standartisée leur donnait le sentiment d’atteindre au démiurgique. Avâchis qui dans un fauteuil, qui sur le canapé, ils se plaisaient, d’une simple pression du doigt ou du pouce, à composer des mondes pour les décomposer à la seconde suivante. Madonna fêtait ses 30 ans et soufflait 20 bougies ; le gnu saisi au mufle par une lionne se relevait du choc de sa naissance ; le prédicateur glorifiant l'ami finissait par évoquer l'ami ; le long courrier décollait pour attérier ; le ballon effleurant un panier dans une salle américaine faisait hurler la foule d’un concert à Osaka, avant que d’étonner par sa rondeur l’équipage d’un vaisseau extra-terrestre ne connaissant que le triangle. Rapidement ce „pouvoir“ augmenta en se démultipliant. Ils s’en réjouirent, sans saisir cependant en quoi il consistait vraiment.