Sans un mot Durapin avait déposé le modèle sur son bureau. Avait-il souri ? A peine. Pas suffisamment pour que René l’interprète d’une manière ou d’une autre. Cela pouvait autant signifier : vous êtes sur la bonne voie, continuez et vous en conduirez une semblable, que : regardez-la bien, car jamais vous ne vous en approcherez. Quant à la conduire... Le nez. René n’y avait pas fait attention. Un léger frémissement des narines trahissait toujours une arrière-pensée chez Durapin. Projetait-il de se lancer dans l’import/export de cabriolets ? Délaissant son bureau René se pencha à la fenêtre. La rumeur (qu’il souhaitait râle définitif) du trafic routier enflait parallèlement à l’éclaircissement de la lumière, et bientôt, faisant fi d’une fausse timidité, abandonnant toute pudeur affectée, comme les autres jours, il laisserait tomber le masque. Ce serait, de nouveau, le bazar des bipèdes d’abord si fiers de leur station debout et finissant au bout du compte par se métamorphoser en roulipèdes. Sans vouloir faire dans la sociologie, René pouvait avancer que sur deux voitures, trois étaient occupées par une seule personne. Cela garantissait cependant un taux assez élevé d’accidentés, le nombre de voitures mises en circulation croissant autant que la population. Maigre ou en chair, une consolation est une consolation, il s’agit d’en profiter. En général, il méprisait volontiers les automobilistes, ces parfaits représentants de la régression flagrante de l’espèce humaine. S’il comprenait, voire partageait la fascination d’un archéologue à la vue d’un galet oldowayen ou mieux encore, du biface symétrique d’homo ergaster (outil qui fit ses preuves au moins un million d’années), il n’éprouvait qu’un dédain profond pour la voiture et les homo-biles. Ce matin là, une fois n’est pas de coutume, ils le laissaient indifférent. Il y avait cinq étages entre eux et lui, il les voyait de haut. La qualité de nos rapports avec nos congénères est sans doute proportionnelle à la distance nous séparant d’eux.