Lucien ne comptait
plus les tentatives au cours desquelles il avait essayé de se souvenir
à quelle occasion cet objet lui était apparu, comment il
entré en sa possession. Un bien grand mot. Aussi grand souvent
que le terme définissant l’objet lui-même. Terme plus
grand oui, à le prononcer, à l’entendre que l’objet
par lui désigné. Il comprenait alors intuitivement que pour
obtenir quelque succès il lui serait nécessaire d’inventer
sinon un langage du moins une langue. Car si tout était langage,
si toute langue était un langage, le langage n’était
pas forcément une langue. Un langage pouvait tout aussi bien s’exprimer
sans mot, disposait même d’un vaste répertoire pour
le faire. Et c’était justement une telle langue qu’il
semblait nécessaire de découvrir, de développer.
En cherchant bien cela pouvait se faire, en cherchant mal aussi d’ailleurs.
Car cette langue pouvait aussi bien se trouver ici que là, se disait-il.
Et de se mettre en route. Non en compulsant dictionnaires ou encyclopédies,
manuels, mémoires ou moteurs de recherche, mais tout bonnement,
tout simplement, en se rendant à la gare. Si elle ne lui permettait
pas de prendre un train à même de le mener directement vers
ce quoi il était à la recherche, elle le rapprocherait d’une
seconde gare, plus importante peut-être et mieux desservie, d’où
partirait un tel train, ou, le cas échéant, lui donnerait
la possibilité d’en choisir un autre, qui, sans le transporter
en ligne droite vers son but, saurait l’en rapprocher de manière
significative. Mais pourquoi le train? Pourquoi pas l’avion ou le
bateau? Du premier l’on ne voit le plus souvent que le ciel vide
ou la masse des nuages ; du second on a beaucoup trop le temps de voir
trop longtemps la même chose. Plus rapide que le bateau, beaucoup
moins haut que l’avion, le trait était parfait. Et la voiture,
qu’il se gardien bien d’utiliser, était à ses
yeux par trop bête pour servir à autre chose que transporter
des crétins ayant remplacé le langage par le coup de klaxon,
l’accélération vindicative, le brusque freinage, et
généralement se soucient fort peu de la langue. Ces réflexions étonnaient beaucoup Mireille, l’amusaient un peu. Elle lui rappelait néanmoins régulièrement de lui réserver aussi une place le jour où il se déciderait à partir. |