Le portrait d’un
roi africain, Lucien en était sûr. De quelle Afrique? de
quel royaume? De tous les déménagements en tout cas –
combien? Roi errant dont le poids l’étonnait à chaque
fois qu’il le déposait dans un carton, l’en retirait,
moulage en plâtre d’un original en marbre, que l’on
imagine mal avoir été travaillé au delà du
Sahara, et qui prêtait son visage (même incomplet, surtout
incomplet) aux souverains rencontrés par les explorateurs dont
il lisait autrefois les récits, celui de Camille changea la donne,
puisque la tête lui rappela un cliché pris au Grand Palais
lors de la 1ère guerre mondiale. Il laissai voirt une salle à
la fois bureau et musée. Au premier plan, une chaise et une table
de travail, sur cette dernière, des registres, des cahiers, instruments
d’écriture (porte-plume, encrier, règle, rouleau à
sécher). L’employé avait terminé sa tache ou
la commencerait bientôt. À ces deux meubles faisaient face
des murs où étaient accrochés sur plusieurs rangées,
des moulages de plâtre mêlés à des photos médicales
documentant des corps ou parties de corps blessés. Le mélange
semblait alléatoire, c’est-à-dire qu’à
un moulage de main ou de pied, ne correspondait pas dans l’immédiate
proximité une photo des mêmes. On se trouvait, poursuivit
Camille, en présence de deux absences. Celle de l’employé,
celle des soldats ayant subit les blessures documentées par les
photos et les moulages. Tôt ou tard, le premier reviendrait s’asseoir,
saisirait un registre ou cahier, vérifierait sa plume, pesterait
si tordue, sourirait si non, tremperait le porte-plume dans l’encrier,
continuerait d’établir les colonnes justifiant la présence
de la règle, poursuivra son catalogue, inscrirait date d‘entrée
nom, prénom date de naissance matricule genre de blessures soins
appliqués (avec succès ou non), date de sortie mort ou vif
du patient. Les moulages insinuaient différentes issues pour les
soldats sur lesquels ils avaient été effectués. Soit,
comme évoqué plus haut, ils étaient décédés,
soit ils se trouvaient en rééducation (le Grand Palais servait
d’hôpital temporaire, on y trouvait des salles d’opération,
un service de radiologie, de psychothérapie, des réfectoires,
dortoirs, un cabinet dentaire, une salle d’opération d’ophalmologie,
une salle de mécanothéraphie, d’électrothérapie,
d’hydrothérapie, une salle de gymnastique, une autre de massage,
une pharmacie, une salle réservée aux “fièvreux“,
etc.), soit ils profitaient d‘une convalescence, soit ils étaient
regagné le front (un nouveau séjour au Grand Palais étatait
alors envisageable), soit ils étaient, pour une raison ou pour
une autre, définitivement réformés et retounés
clopin-clopant, dans leur foyer. Ce cliché faisait partie d’un
album offert par le médecin-chef de l’hôpital au Président
de la République (Raymond Poincaré) et aux membres du conseil
municipal de Paris. Dédicace inscrite sur la page de titre. En
bas de page une note manuscrite informait le(s) destinataires que l’album
avait été tiré à 500 exemplaires numérotés
et signés, et que les clichés avaient été
détruits (plaque de verre? négatifs? intentionnellement?
par inadvertance?). Le nom du photographe n’est pas mentionné. - Et les moulages? |