- C’est drôle, que tu me ramènes cette statuette, avait dit Camille.
- Ce sont plutôt les circonstances de son achat qui importe, avait répondu René. Il se revoyait déambulant dans la foule de ce marché nocturne, autant furieux du lapin posé par ses soi-disants correspondants que désemparé par il ne savait trop plus qui-comment-pourquoi-où. Il s’était arrêté devant ce stand, presqu’aussitôt abordé par un européen, qui ne ressemblait ni aux touristes tradionnels ni au non moins conventionnels routards. „Vous m’avez l’air d’une putain sans trottoir“ avait-il laché à un moment de la conversation, ce qui ne manqua d’exacerber la désorientation de René, pour autant que cela fut possible. L‘interlocuteur, pour sa part, s’avoua tout aussi égaré, et raconta l’histoire d’une femme d’origine malaise vivant dans le sud de la Thaïlande. Après un séjour en Malaisie, elle voulut retourner à Narathiwat (avec Yala, Pattani et Sadao, une province à la majorité musulmane où le malais est la langue principale), mais ne sachant ni lire ni parler le thaï, elle se trompa de bus ou de train, pour se retrouver à quelques 1500 kms au nord de Bangkok, à Chiang Mai, où elle survécut 5 ans en mendiant. Finalement arrêtée, incapable de s’exprimer pour expliquer son cas, elle fut considérée comme muette, voire un rien dérangée mentalement, et placée dans un centre-social où elle passa 20 ans. Un beau jour, des étudiants, originaires eux aussi de la même province qu’elle, vinrent travailler au centre et se rendirent naturellement compte de l’erreur. „Celui-là ? “ avait alors demandé la vendeuse. René avait fait oui, de la tête.