Mamadou n’était pas toujours à la bourre. Quand oui, pour de bon. Quand non, alors complètement. Il achetait des sandwiches, en tendait un à P., s’asseyait, et parlait. Comme au pays, une fois la journée achevée... la journée! c’était plutôt des jours, au gré des pannes, des tempêtes de sable, et de ce qu’il nommait „complications“. Il en relatait parfois la complexité sur plusieurs jours, le fil de l‘intrigue échappait régulièrement à P., sans vexer Mamadou qui avouait lui-même ne plus s’y retrouver avec le temps. Il était loin ce temps, effacé par endroit, comme la route, lorsque l’Harmattan gondolait les dunes du Sahara, les poussait sur le goudron. Louga, Richard-Toll, Galoya Toucouleur, Doumga Ouro Thierno, Ballou, niki neke, gomme arabique, jujube, fonio, sorgho, arachides et légumes entassés dans son antique Berliet, aussi serviable que réfractaire, lui c’est au volant d‘un Ndiaga Ndiaye qu’il eut aimé traverser le pays. Il a fini par traverser la mer, puisqu’il était ici. Avec sous les fesses non le fier 508D, mais une vulgaire camionnette kasar gi! Or il arriva un jour que Mamadou, tout en parlant, se mit à tordre, plier, déchirer un carton d’emballage, vite transformé en „formule 1“. P. admira. Se demanda s’il ne pourrait pas, lui aussi, s’attaquer à quelque construction du genre, de façon à expérimenter un modèle économique à l’air libre, parfaitement adapté à sa situation. L’idée enchanta Mamadou. N’importe quel borom bèn lokho te sort un Arc de Triomphe d’un bout de carton, un Sacré-Cœur, la Défense! P. préféra s’en tenir à une architecture plus modeste.