Le linge à sécher sur les balcons, aux fenêtres ou dans les jardins. Claquement des nappes, des draps, des serviettes et des torchons. Gesticulades des pantalons, sémaphores des chemises, des chandails. Autant de prières. De qui? à qui?
 
Peut-être ne sont-ce pas des prières mais des plaintes qui s’échappent de tout ce linge? Cela expliquerait l’interdiction pour les citadins, de le laisser prendre aux fenêtres ou entre deux immeubles. Comme si par là on cherchait à les étouffer, ces plaintes. Ce qui est absurde car les bruits de la rue et ceux des locataires les recouvrent somme toute assez rapidement.
 
Je me souviens d’un homme qu’exaspérait la vue d’une literie aérée quotidiennement par un locataire de l’immeuble situé en face du sien. Il se constitua un ”dossier de preuves” devant appuyer la plainte qu’il avait décidé de porter en photographiant le délit des mois durant, remplissant ainsi plusieurs albums, consultés lors du procèns. A raison de quatre clichés par pages il y avait environs 200 ”preuves” par album. Toujours pris selon le même angle, ces clichés montraient la même fenêtre d’où dépassait [débordait] la literie avec motifs géométriques ou figuratifs et ne furent pas sans rappeler ces séries de Fujiyama photrographiés avec la même constance. L’homme atteint gain de cause, le jury étayant son jugement en reconnaissant que la ville de X. ne se trouvait ni en Italie, ni dans les Balkans.
[Extraits du Journal de Marcel Crépon]